Player vidéo
Transcription de la vidéo
Interview de Jean-Patrick Mousset, responsable de l'allocation d'actifs chez Banque Transatlantique
Comment a évolué la population active au niveau mondial ces 30 dernières années ?
Il y a 3 ans, les économistes Goodhart et Pradhan publiaient un livre plaçant la démographie au centre des évolutions économiques. Durant les trois dernières décennies, la montée en puissance de la Chine et les changements démographiques ont à la fois jugulé l’inflation et conduit à une baisse des taux d'intérêt. Or, aujourd’hui, la démographie mondiale est arrivée à un point d’inflexion.
Trois tendances ont conduit à doubler la main d’œuvre pour nos économies :
- L’intégration de la Chine dans les échanges internationaux à partir de la fin des années 90,
- la réintégration de l’Europe de l’Est suite à la chute du mur de Berlin,
- et l’augmentation de la part des femmes dans la population active.
Devant cet afflux de main d’œuvre, les salaires dans les pays développés n’ont que très peu progressé. Comme en parallèle la mondialisation contenait le prix des biens, l’inflation a pu passer sous la cible de 2% des banques centrales. Sous l’action de ces dernières mais aussi de l’excès structurel d’épargne, les taux d´intérêt nominaux et réels ont pu baisser.
Les premiers gagnants de cette évolution démographique ont été les salariés chinois et ceux d’Europe de l’Est. Le ratio des salaires entre les États-Unis et la Chine est ainsi passé d’un rapport de 34 fois en 2000 à seulement 5 fois en 2018. Les 2èmes gagnants ont été les investisseurs avec la baisse des taux d’intérêt.
Quel changement démographique s’opère actuellement ?
Le mouvement démographique de ces 35 dernières années se renverse. Le déclin du taux de fécondité observé depuis les années 50, et qui passe même maintenant en dessous du seuil de renouvellement des générations dans certains pays, devrait ralentir la croissance de la population active. Celle-ci devrait même baisser au Japon, en Chine, et dans de nombreux pays d’Europe continentale. Parallèlement, avec l’allongement de l’espérance de vie, le taux de dépendance, qui mesure le nombre de personnes âgées par rapport aux actifs, voit sa hausse s’accélérer dans de nombreux pays.
Quel est l’impact économique de ce renversement démographique ?
- La croissance du PIB est la principale victime. La main d’œuvre n’augmentant que faiblement, la croissance de l’activité ralentit. Cet impact pourrait cependant être en partie compensé par :
- le rôle de l’Afrique et de l’Inde, aux profils démographiques plus dynamiques,
- l’augmentation du taux de participation des seniors,
- ainsi que par l’augmentation de la productivité, à travers l’automatisation et l’intelligence artificielle notamment.
- Le 2ème impact de ce renversement est l’augmentation des dépenses de santé, consécutive à l’allongement de l’espérance de vie. En particulier, les maladies cérébrales dégénératives chez les personnes les plus âgées augmentent leur besoin de prise en charge.
- Le 3ème impact concerne l’inflation en passant schématiquement d’une population active qui produit mais consomme moins, donc déflationniste, à une population non productive mais consommant plus, donc inflationniste. Cette inflation est accentuée par un renchérissement du facteur travail dans un contexte d’une main d’œuvre plus rare.
- Enfin, les besoins en capitaux vont s’accroître. Face au manque de main d’œuvre, les entreprises vont chercher à investir pour automatiser davantage et gagner en productivité. En parallèle, l’épargne devrait être amenée à baisser, les personnes âgées consommant davantage en puisant dans leur épargne. La hausse des besoins en capitaux d’une part et la baisse de l’épargne d’autre part devrait théoriquement entrainer une hausse des taux d’intérêt à long-terme.
En conclusion, ce renversement démographique devrait sur le long terme et toutes choses égales par ailleurs affecter à la hausse l’inflation et les taux d’intérêts à long-terme. Pour les entreprises, une main d’œuvre plus rare et plus onéreuse implique une dégradation des marges et donc de nécessaires investissements pour regagner en productivité.