Cette année, le CAC 40 a progressé de 15,6% au 30 juin 2023, tiré par le rebond de certaines valeurs de luxe dont LVMH (+26%) et Hermès (+35%). Ces deux valeurs, pesant respectivement 13% et 3,5% de l’indice, contribuent à 4 points de la croissance du CAC 40.
Les deux entreprises profitent d’un marché historiquement porteur. Depuis 2019, le luxe a pris un nouvel élan grâce à une consommation chinoise forte (jusqu’en 2021) et un réveil du consommateur américain, un enrichissement des classes moyennes et un essor des réseaux sociaux. Mais au-delà de ce marché porteur, le succès de LVMH et Hermès est dû à leur stratégie. L’un s’appuie sur une stratégie de diversification à travers des acquisitions, tandis que l’autre s’appuie sur une stratégie d’hyperspécialisation.
LVMH : la stratégie des acquisitions
Avec une capitalisation boursière de plus de 400 milliards d’euros, le géant du luxe a généré 80 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2022. Son succès est partagé par 75 Maisons à travers ses cinq divisions : Vins et Spiritueux, Mode et Maroquinerie, Parfums et Cosmétiques, Montres et Joaillerie et Distribution Sélective.
Depuis les années 1980, Bernard Arnault a réussi à construire un écosystème de maisons de luxe s’appuyant sur une identité de marque, des produits et une expérience en magasin uniques, accompagné par un rayonnement international grandissant.
Une grande partie de la performance de LVMH est, en effet, due à l’essor de la marque Louis Vuitton, qui représente un quart du chiffre d’affaires en 2022 et environ 50% du résultat opérationnel. La Maison a réussi à doubler ses revenus en quatre ans grâce à la stratégie mise en place par sa direction artistique et commerciale dès 2010. L’ambition du management était de transformer Louis Vuitton en marque d’ultra luxe en s’écartant de la maroquinerie monogrammée pour de la maroquinerie plus classique. Le pari est réussi puisqu’en 2021 la vente de sacs monogrammés représente seulement 30% des ventes du groupe contre 90% au début des années 2000. La marque a aussi gagné une aura culturelle notamment avec la Fondation Louis Vuitton ou encore ses collaborations avec des artistes internationaux comme Yayoi Kusama. La puissance de la marque permet aux 74 autres Maisons de se développer dans son sillage.
Le vaisseau amiral de LVMH est Louis Vuitton, mais au fil des années, le groupe a su acquérir des grands noms du luxe comme Céline, Bvlgari, Christian Dior Couture ou encore Sephora, qui contribuent à la croissance du groupe. Cette polyvalence octroie à l’entreprise plusieurs moteurs de croissance : des moteurs par zones géographiques aussi bien que des moteurs par tendances comme avec l’essor de la joaillerie depuis 2020.
Plus récemment, le plus grand pari du groupe a été Tiffany & Co, marque de joaillerie new-yorkaise immortalisée grâce au film Breakfast at Tiffany’s avec Audrey Hepburn. LVMH a acquis la Maison américaine pour près de 16 milliards d’euros avec un chiffre d’affaires de 4 milliards d’euros en 2021, un montant colossal dans l’univers du luxe. L’acquisition était pertinente financièrement dans un environnement de taux 0 mais elle est surtout un pari stratégique pour le groupe.
L’arrivée dans le groupe de la Maison a permis de doubler la taille de sa division Montres et Joaillerie. Tiffany & Co était alors fortement exposée aux ventes stagnantes aux Etats-Unis et ses produits phares, les bagues de fiançailles et les bijoux en argent, ne sont pas les catégories les plus porteuses sur le marché.
LVMH a misé sur un regain de la croissance de la Maison new-yorkaise aux Etats-Unis et en Asie. La stratégie vise une actualisation de la marque afin de plaire à un public plus jeune et une montée en gamme de l’offre. Dès la mise en place du nouveau management, Tiffany & Co marque son virage au travers d’une campagne marketing avec pour égérie Beyoncé et son mari Jay-Z qui se focalise sur la haute joaillerie. La marque s’appuie sur des égéries internationales incluant également Rosé, chanteuse dans un groupe coréen rassemblant des millions de fans. Cet appel à des stars fait écho à un grand nombre de consommateurs de la jeune génération et permet de créer un lien aux Etats-Unis comme en Asie. En 2022, Tiffany & Co a déjà doublé son résultat opérationnel et son chiffre d’affaires en Haute joaillerie.
Si la stratégie de LVMH est pour l’instant gagnante, elle n’est pas sans risque. L’entreprise repose malgré tout sur la Maison Louis Vuitton et quelques grandes marques afin d’assurer le résultat du groupe et soutenir les plus petites marques acquises.
Hermès : une marque, une identité
Avec 200 milliards d’euros de capitalisation boursière et ses 11 milliards d’euros de chiffre d’affaires, Hermès est la deuxième entreprise de luxe mondiale. L’artisan connu pour ses carrés de soie et ses sacs Birkin et Kelly, a étendu sa marque à l’Art de la Maison, l’Horlogerie ou encore les Parfums et la Beauté.
Hermès s’est établi en 1837 comme un atelier de sellerie. Au fil des années, la petite entreprise familiale a déployé son expertise à la maroquinerie, l’horlogerie ou encore l’art de la maison. En 1993, Hermès est entré à la bourse de Paris avec un prix par action de moins de $6, présentant des ventes de $600 millions. Aujourd’hui, l’action flirte avec les $2000 et le chiffre d’affaires a dépassé les $10 milliards. Cette ascension est due à la stratégie d’hyperspécialisation de la Maison.
Hermès a réussi à faire grandir six métiers différents au sein d’une même marque. La maison a développé un pôle d’artisanat où 78% des produits sont fabriqués en France. L’entreprise contrôle son rythme de production avec environ deux ouvertures d’atelier par an et des formations en interne des artisans sur une durée de deux ans. Hermès ne possède que 300 boutiques à travers le monde et concentre ses efforts sur la qualité de ses produits plutôt que sur la quantité. La marque crée une rareté au niveau du produit mais aussi au niveau de sa communication ; l’entreprise ne dépense que 5% de son chiffre d’affaires en publicité et marketing. La discrétion de la marque rend ses produits attrayants.
Au-delà de sa stratégie globale, le succès d’Hermès repose sur deux pièces maîtresses : le Birkin et le Kelly, sacs égéries de la marque, qui représentent à eux seuls près de 25% du chiffre d’affaires du groupe et près d’un tiers du résultat opérationnel. Ces sacs d’exception, créés à la main par un seul artisan, se déclinent dans quatre tailles différentes, dans une multitude de cuir et de couleurs, rendant la pièce unique. Le Birkin et le Kelly entraînent dans leur sillage des ventes dans d’autres segments. Ceci permet l’essor des autres métiers de la Maison, comme les souliers ou la joaillerie. Malgré la forte croissance d’Hermès depuis quelques années, soutenue par un modèle établi et un management robuste, quelques risques subsistent. Hermès est fortement dépendant de l’Asie Pacifique (près de 50% du chiffre d’affaires du groupe) et un ralentissement en Chine pourrait amputer le chiffre d’affaires du groupe. Si les deux sacs emblématiques sont une aubaine pour la Maison, la dépendance à ces deux produits est aussi un risque.
Malgré les risques inhérents au marché du luxe comme la dépendance à la consommation chinoise ou encore l’accroissement de la classe moyenne aisée, les deux entreprises continuent d’afficher de solides performances boursières. Au sein du secteur, plusieurs entreprises n’ont pas réussi à faire fructifier leur stratégie d’acquisition ou d’hyperspécialisation. Par exemple, le groupe Richemont s’est récemment séparé de YOOX Net à Porter, entreprise de e-commerce, en difficulté depuis son acquisition et Tod’s peine à trouver son public malgré l’essor du marché de la maroquinerie. LVMH et Hermès restent ainsi les leaders de leur industrie, ayant une création de valeur inégalée pour leurs clients et leurs actionnaires.
Achevé de rédiger le 08/07/2023 par Valentine Rousseau, analyste chez Dubly Transatlantique Gestion