Interview

Entretien avec Patrick Gerschel, philanthrope américain francophile

Patrick Gerschel est philanthrope, américain, francophone et francophile. Il est notamment président de la Winston Churchill Foundation, vice-président du French Institute et trésorier des American Friends of the Louvre. Il livre au Fonds de Dotation Transatlantique une vision aiguisée et critique de la philanthropie - et des stratégies de collecte de fonds - en France et aux États-Unis.

Fonds de Dotation Transatlantique (FDT) : Dans un environnement de taux bas, comment les fondations peuvent-elles encore financer leurs missions ?

Patrick Gerschel : À mon sens, la gestion financière pratiquée dans les institutions à but non lucratif en France est trop timorée. Les objectifs fixés sont 2 ou 3%... en ce moment, aux États-Unis, on vise des taux de 5 à 10%... et j’estime personnellement qu’en deçà de 8% à 12% de rendement, ce n’est pas suffisant. Il faut être ambitieux et savoir prendre des risques pour que les fondations génèrent des revenus et puissent poursuivre leurs missions. Autrement, le marché de la philanthropie restera atone.

FDT : Quand on est un organisme de collecte, que faut-il faire pour attirer et fidéliser les philanthropes ?

Patrick Gerschel : Il faut d’abord comprendre la philosophie de don du philanthrope. Les personnes fortunées sont sollicitées de toutes parts : elles ne soutiendront que les causes qui leur tiennent à cœur. Renseignez-vous bien sur leurs goûts, leurs engagements. Ensuite, il faut pouvoir être très précis quant à l’utilisation qui sera faite de leur don. Il faut leur adresser un reporting d’une excellente qualité (un rapport annuel ne suffit pas). Et ne pas oublier de dire merci ! Cela peut sembler basique, mais on l’oublie souvent.

Le succès dépend aussi largement de « qui » demande. Un philanthrope sera sensible à une sollicitation de la part d’un pair. Aux États-Unis, les boards ont pour mission principale la collecte de fonds. La règle est simple : « give, get, or get out ! ». Je déplore que les conseils d’administration, en France, soient plus honorifiques qu’autre chose.

FDT : Les motivations pour donner seraient donc différentes en France et aux États-Unis ?

Patrick Gerschel : Oui, absolument ! Les Américains sont un peuple de pionniers. On pratique depuis toujours l’entraide et le soutien financier aux initiatives privées. On donne, bien entendu, par obligation de « rendre à la société » (ou « give, get, or get out ! »), mais aussi pour accroître sa position sociale, le don est très mondain. En France, la tradition jacobine donne l’impression que l’État est seul responsable du secteur à but non lucratif. Si les Français donnent, c’est soit par coup de cœur (à l’art...), soit par proximité (un clocher d’église), soit par peur ou gratitude (l’hôpital, la recherche...). Les Français sont beaucoup plus discrets, ils ont également moins envie de s’afficher. Enfin, n’oublions pas qu’aux États-Unis, il n’y a pas de réserve héréditaire : on peut tout léguer à une fondation. En France, ce n’est pas le cas, les héritiers sont protégés. Cela change la façon dont on donne (et les montants).

FDT : la philanthropie est-elle une affaire de famille ?

Patrick Gerschel : Non, pas pour moi. Je crois qu’il faut que chacun puisse construire sa générosité comme il l’entend. Dans ma famille, par exemple, nous avons hérité de la fondation de mon grand-père : nous ne nous sentions pas concernés par les mêmes causes que lui, les époques et les urgences évoluent... nous avons donc dissous cette fondation pour en recréer autant qu’il y avait de petits-enfants. On ne peut pas forcer la générosité de ses enfants... en revanche on doit les éduquer au don, et c’est toute la communauté qui porte ce message (dans les écoles, les hôpitaux, les centres de loisirs, les musées... on nous rappelle sans cesse qu’il faut contribuer).