Le Fonds de Dotation Transatlantique donne la parole à des philanthropes engagés dans le cadre des Grands entretiens de la philanthropie. Aujourd'hui, Eric Philippon revient sur son engagement en faveur de l’environnement, de l’origine de ses motivations aux modalités très entrepreneuriales du fonctionnement de son fonds de dotation familial.

Fonds de Dotation Transatlantique : comment est née votre fibre philanthropique ? Quel a été le déclic ?

Ce projet est né à la fois d’une prise de conscience et d’une volonté d’engagement personnel : il y a quelques années en effet, j’ai commencé à réaliser que mes futurs petits-enfants allaient venir au monde pour (sur)vivre sur une planète à bout de souffle. Je me suis alors demandé ce que je leur répondrais lorsqu’ils m’interrogeraient pour savoir ce que j’avais fait pour leur éviter cela. Ce questionnement a coïncidé avec un tournant dans ma vie professionnelle et personnelle.

Après une longue carrière dans la finance (20 ans, ndlr) au cours de laquelle j’ai gagné des sommes d’argent conséquentes et à l’aube de la « cinquantaine », j’ai ressenti l’envie d’entamer une nouvelle séquence de vie et de m’engager au service d’une cause noble et belle ; la philanthropie est alors apparue de manière assez naturelle comme le moyen le plus adapté d’y parvenir.

FDT : FAMAE est une initiative familiale : comment avez-vous suscité l’adhésion de vos proches et leur implication dans votre projet ?

L’adhésion de mes proches a été immédiate et évidente. En 2016, lors d’une réunion de famille très émouvante, j’ai voulu proposer un dernier projet à mes parents, conscients de leur fragilité grandissante liée au passage du temps. L’environnement s’est imposé assez logiquement ; j’ai grandi sur l’île d’Oléron, une île dont les plages sont agressées depuis longtemps par les déchets et la pollution, et où l’érosion et la montée des eaux sont des réalités criantes. En 1999 et 2010, de violentes tempêtes hivernales ont submergé la maison côtière de mes grands-parents. La première était qualifiée d’événement exceptionnel, centenaire... cela s’est malgré tout reproduit dix ans plus tard.

Mes proches me soutiennent moralement et financièrement, même s’ils ne travaillent pas directement sur le projet. Ils sont présents jusque dans le nom de FAMAE, chaque lettre correspondant à un prénom de l’un des membres de ma famille ; F pour Franck, mon frère ; A pour Abdel, mon autre frère ; M pour Marie et pour Maëva, ma sœur et ma mère ; A comme mon père Alain ; et E... comme Eric.

FDT : comment s’articule l’action de FAMAE ? De quelle manière avez-vous mis votre expérience professionnelle au service de votre outil philanthropique ?

FAMAE a pour objet de soutenir l’innovation au service de l’environnement. Chaque année, nous lançons un appel à projet international sur une problématique environnementale précise : en 2018, l’appel à projet portait sur la gestion des déchets ; en 2019, le thème sera la gestion de l’eau. Pour les projets soutenus, il y a, à la clé, une importante dotation pouvant aller jusqu’à deux millions d’euros.

Mes compétences d’investisseur et de financier sont au cœur du fonctionnement du fonds de dotation. FAMAE s’inscrit dans une logique de venture philanthropy, inspirée des pratiques du private equity : nous prônons en effet une action philanthropique efficace en prenant en compte le développement des projets et des équipes que nous soutenons, notamment leur capacité à devenir pérennes et à se solidifier. De ce fait, la qualité de l’équipe est un critère central du processus de sélection.

Par ailleurs, nous ne nous contentons pas de distribuer des fonds : nous investissons également dans des projets de façon directe selon des modalités diverses. Au-delà d'un soutien financier, nous accompagnons aussi les équipes, à différentes étapes du développement de leur projet.

L'arbitrage entre don et investissement repose sur un élément central du projet : la volonté du candidat d'en partager la propriété intellectuelle ou de la conserver. S'il la partage, le projet est dit open source et pourra le cas échéant bénéficier d'un don. En revanche, si le candidat souhaite conserver l'exclusivité de la propriété intellectuelle de son projet, nous le soutenons par le biais d’un investissement, en prenant par exemple des parts dans sa société.

FDT : À votre avis, la philanthropie est-elle la réponse la plus adaptée pour conjuguer innovation et intérêt général ?

FAMAE est issue d’une conviction : l’innovation, si elle est dotée de moyens financiers conséquents, fera émerger des solutions efficaces qui permettront de relever les enjeux environnementaux immenses auxquels nous sommes confrontés. En effet, en matière de lutte contre le changement climatique, les besoins financiers sont criants et reposent pour une grande partie sur le secteur privé. La philanthropie a de ce fait un rôle décisif à jouer sur le plan financier.

D’autre part, en tant que philanthrope-investisseur, je considère que la philanthropie permet de prendre des risques en finançant des projets d’innovation qui ne le seraient pas forcément dans les circuits traditionnels. FAMAE soutient par exemple des projets qui peuvent encore n’être qu’en phase d’amorçage, ou même au simple stade de l’idée : nous donnons ainsi une chance d’aboutir aux solutions que nous jugeons intéressantes, là où leurs porteurs auraient eu les plus grandes difficultés du monde à trouver des fonds.

Concurremment à ce soutien de projets, nous avons créé un fonds d’impact environnemental intitulé FAMAE IMPACT, doté de 100 millions d’euros, afin de « déplacer » l’argent des investisseurs institutionnels vers des PME œuvrant à la réduction de l’empreinte environnementale de l’Homme : il y a en effet bien plus d’argent prêt à être investi que d’argent circulant sous forme de dons. Pour attirer ces investisseurs, nous leurs proposons des produits aux rendements décents et impliquant des actifs ou des infrastructures qui rendent l’investissement moins risqué. L’enjeu est d’être capable de mobiliser les deux formes de soutien, voire de les croiser sous la forme d’une « finance hybride ».

Repères biographiques

Diplômé de Polytechnique et de l’ENSAE ParisTech, Eric Philippon a mené une longue et brillante carrière dans le conseil et la finance. Sensibilisé depuis longtemps aux enjeux climatiques contemporains et soucieux d’œuvrer en faveur de la préservation de l’environnement pour les générations futures, il crée le fonds de dotation FAMAE en 2016 et s’y consacre désormais entièrement. Il partage avec nous les motivations et les particularités de son engagement philanthropique.

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