Devenu le pays le plus peuplé de la planète (1,42 milliard de personnes / 1,41 milliard pour la Chine), la cinquième puissance économique mondiale, le troisième pays émetteur de CO2, l’Inde a assuré la présidence du G20 en 2023. En 2024, la plus grande démocratie du monde sera à nouveau au centre de l'attention internationale avec ses élections législatives fédérales. Ces élections seront cruciales non seulement pour l'avenir politique de l'Inde, mais aussi pour son économie et sa position géopolitique.
Analyse politique
Depuis l’indépendance en 1947, le parti du Congrès a dirigé l’Inde pendant 55 ans. Le Premier ministre actuel, Narendra Modi, et son parti, le BJP (Bharatiya Janata Party) ont marqué la politique indienne de leur empreinte depuis 2014. Avec 78% de cote de popularité, le parti de Modi s’est attaqué aux problèmes d’infrastructures et de corruption qui entravaient la croissance sous les gouvernements précédents. L'Inde a ainsi connu des réformes majeures telles que la mise en œuvre de la GST (Goods and Services Tax) et la démonétisation.
Cependant, ces mesures ont été à la fois louées pour leur audace et critiquées pour leurs effets déstabilisateurs sur l'économie à court terme.
Les élections de 2024 seront une évaluation cruciale de la gouvernance du BJP sous Narendra Modi. Sont attendues dans les urnes plus de deux fois la population européenne et une bonne participation d’environ 67%. Avec son charisme et sa politique de nationalisme hindou, Modi a su remanier l’échiquier politique indien. Les politiques du BJP ont été perçues comme favorisant l’hindouisme au détriment d’autres communautés, en particulier les musulmans (14% de la population). En effet, le BJP, avec l’Hindutva, son idéologie de l’hindouité, souhaite rétablir une identité nationale étouffée sous les dominations moghole et britannique. Sa doctrine repose sur une politique mêlant nationalisme, hindouisme et prospérité économique. L’opposition, menée par le Congrès National Indien et d’autres partis régionaux, tentera de contester ce narratif mettant l’accent sur l’inclusivité et la sécularité.
Lors de ces élections, les électeurs évalueront la capacité du BJP à gérer des questions cruciales telles que l'emploi, l'éducation et la santé (l’espérance de vie de 67 ans est encore inférieure à la moyenne mondiale de 71 ans). Les enjeux sont élevés notamment en ce qui concerne la gestion de la diversité religieuse et ethnique de l'Inde. Les tensions entre les différentes communautés et la question de la laïcité restent ainsi des sujets sensibles.
Situation économique
Depuis l’arrivée de Modi au poste de Premier ministre, l’Inde est passé de la dixième à la cinquième place des économies mondiales et pourrait même accéder à la troisième place en 2027. Après un ralentissement en raison de la pandémie mondiale, l’économie indienne a montré en 2023 des signes de reprise.
Les investisseurs mondiaux portent un intérêt accru pour l’Inde dont la croissance est estimée à 6,3% en 2023 par le FMI.
En outre, selon Goldman Sachs, le développement du pays devrait être largement soutenu par les facteurs suivants :
- Large base de consommation : l'Inde a été principalement une économie axée sur le marché intérieur, la consommation intérieure et les investissements représentant 70% du PIB. La classe moyenne indienne est la plus nombreuse au monde et devrait représenter 75% des dépenses de consommation d’ici 2030. À mesure que ces tendances se manifestent, les dépenses de consommation bénéficieront à de nombreux secteurs ; à l’horizon 2030, les dépenses pour l'habillement devraient ainsi être multipliées par 2,5 ; par 3 à 4 dans les services de santé et de divertissement et par 3 à 5 dans les biens de consommation durables tels que l'électronique.
- Autosuffisance énergétique : dans le cadre d'un projet ambitieux, le gouvernement indien prévoit que le pays soit complètement autonome sur le plan énergétique d'ici 2047, en développant près de 200 milliards de dollars de projets d'énergie renouvelable. Le gouvernement a annoncé le lancement d'une mission nationale sur l'hydrogène qui viserait à accélérer son objectif de carburant sans carbone issu de sources renouvelables, faisant de l'Inde une plaque tournante mondiale pour la production et l'exportation d'hydrogène vert.
- Inde numérique : la tendance amorcée en 2015 a désormais pénétré plusieurs secteurs qui profitent à des millions de personnes grâce à l'introduction des services bancaires et des portefeuilles numériques, réduisant ainsi l'inefficacité et la corruption qui sont généralement synonymes de transactions en espèces.
Selon Amitabh Kant, sherpa du G20 indien, ministre bis des finances proche du Premier ministre, la croissance annuelle attendue à partir de 2025 pour les 30 années suivantes, s’élèvera entre 9 et 10%.
Les politiques de Modi en matière de réformes économiques, telles que le Make in India, visent à positionner l’Inde comme un pôle manufacturier et technologique. Cependant, des questions subsistent sur l’emploi, l’inflation et l’équité économique en particulier pour les populations rurales et les classes moyennes.
Nous pouvons illustrer ces propos en quelques chiffres :
- L’Inde est restée rurale à plus de 70%. Et si sa croissance est tirée par les services (la moitié du PIB) notamment informatiques, ceux-ci offrent très peu de débouchés pour les non-qualifiés. Environ un indien sur six vit ou survit de l’agriculture, alors que cette dernière génère moins de 20% de la richesse mondiale.
- La pauvreté : un indien sur cinq vit avec moins de 1,90 dollar par jour.
- Le taux de participation des femmes à l’emploi stagne à 24,2%.
Le succès des prochaines élections dépendra ainsi en grande partie de la capacité du gouvernement à relever ces défis.
Marchés financiers
L’Inde performe mieux que la plupart des marchés émergents sur fond de tendances positives structurelles au niveau démographique, technologique et macroéconomique. L’indice phare de la bourse indienne, le BSE SENSEX, a progressé en 2023 de 19,63% en USD contre 26,34% pour le S&P500. Sur 3 ans, ces deux marchés ont évolué sur le même rythme de progression d’environ 30% (cf graphique). Cette performance s’explique par le passage de l’Inde à une économie portée par sa consommation et par l’intérêt grandissant des investisseurs institutionnels internationaux.
Evolution du BSE SENSEX et du S&P500 sur 3 ans
Source : Bloomberg, au 29/01/2024
Dans sa volonté de devenir attractive pour les grands groupes internationaux, l’Inde a su attirer des groupes comme Apple. Depuis cet été, l’Inde est devenue le 5ème plus grand marché d’Apple, avec l’ouverture de deux premiers Apple Store. A ce jour, seulement 5% des IPhone sont produits en Inde mais ce chiffre pourrait atteindre 25% d’ici 2025. Micron (leader dans la fabrication de mémoire informatique) a aussi annoncé la construction d’une usine d’assemblage en Inde, et pourrait en construire une de plus, pour la production de puces.
Cependant, à ce jour, ces investissements ont des limites. Un exemple revient régulièrement, celui d’Apple qui a ordonné à son sous-traitant taïwanais Foxconn de produire des IPhone dans le Karnataka. Par manque de compétences, Foxconn a dû demander une dérogation au gouvernement pour faire intervenir des ouvriers chinois. Le « make it in India » n’est pas encore d’actualité. La part de l’industrie dans le PIB plafonne autour de 15 % depuis 20 ans.
Enfin, pour réussir en Inde, il faut être indien. Certaines entreprises ont su s’adapter telles que McDonald’s en remplaçant ses Big Mac par des « spicy burgers » ou bien Pernod Ricard qui a fait de l’Inde son troisième marché (12,1 milliards d’euros de chiffres d’affaires) en se développant sous des bannières locales telles que les marques Imperial Blue, Royal Stag et Blenders Pride pour le whisky. Le n°2 mondial des spiritueux possède 28 usines en Inde afin d’éviter les droits d’accise qui s’appliquent quand on passe d’un Etat à l’autre.
De fait, l’État donne la priorité aux sociétés indiennes et les investisseurs privilégient les entreprises domestiques, en particulier celles qui sont susceptibles de profiter de la hausse de la consommation. A titre d’exemple, nous pouvons parler de :
- Reliance Industries Limited : diversifiée dans les hydrocarbures, la pétrochimie, les télécommunications et le commerce en détail. Elle possède la plus grande raffinerie du pétrole complexe à Jamnagar. Transforme l’industrie des télécommunications en Inde via Reliance Jio et présente dans le commerce de détail avec Reliance Retail et Reliance Trends.
- Tata : groupe diversifié indien avec des entreprises emblématiques : Tata Steel (producteur d’acier) / Tata Motors (acteur clé de l’industrie automobile, large gamme de véhicules) / Tata Consultancy Services (leader mondial des services informatiques et de conseil).
- Adani : conglomérat diversifié dans l’énergie, la logistique, les infrastructures, les ports et les mines. Cette société participe à la transition vers une énergie plus propre.
- Mahindra : acteur majeur dans l’industrie automobile et des véhicules utilitaires en Inde. Actif dans les technologies de l’information, les services financiers et l’agriculture.
Les grandes entreprises nationales jouent un rôle majeur dans cette ascension, en offrant des opportunités de croissance et de diversification aux investisseurs. Leur performance est un moteur essentiel de l’augmentation des indices boursiers.
Positionnement géopolitique
Sur le plan géopolitique, l’Inde joue un rôle de plus en plus affirmé. Sous Modi, l’Inde a cherché à équilibrer ses relations avec les États-Unis, la Russie et la Chine. L’Inde est notamment devenue un partenaire essentiel pour les États-Unis afin de contenir le poids de la Chine. Les tensions avec la Chine, en particulier à la frontière dans l’Himalaya, et les relations tendues avec le Pakistan concernant le cachemire, restent des points importants à surveiller. La manière dont l’Inde gèrera ces tensions ainsi que son rôle dans des organisations comme l’ASEAN, le BRICS, et le Quad (dialogue quadrilatéral pour la sécurité) influencera sa position sur l’échiquier mondial.
Sous l’impulsion de Modi, plusieurs défis géopolitiques se sont superposés : contenir la Chine, la seule vraie menace pour les intérêts vitaux indiens ; remettre en cause le poids des occidentaux dans le nouvel ordre mondial aux côtés de la Chine et de la Russie ; maintenir le partenariat avec la Russie pour sécuriser ses fournitures militaires et énergétiques. Ce multi-alignement de la diplomatie indienne accroît sa position sur l’échiquier géopolitique actuel.
Conclusion
Modi jouit d'une popularité notable, en partie due à son image de leader fort et déterminé. Ses initiatives en matière de politique étrangère et son approche nationaliste ont renforcé sa base politique. Cependant, il fait face à des critiques quant à la question des droits de l'homme et la liberté de la presse. Les perspectives favorables pour Modi dépendront de sa capacité à répondre aux préoccupations des citoyens sur ces fronts ainsi que sur le développement économique et l'inclusion sociale. A l’inverse, une victoire de l'opposition pourrait voir un recentrage de la politique indienne vers des questions de pluralisme et d'équité.
Un autre enjeu de cette élection est de conserver l’attrait des investisseurs étrangers sur les marchés boursiers. Malgré la croissance, les défis demeurent notamment la volatilité liée à la dépendance aux capitaux étrangers et les inquiétudes de surévaluation. Cependant, l’optimisme reste de mise pour l’avenir du marché boursier indien, grâce à ses fondamentaux solides et à sa stratégie de développement offrant des perspectives d’investissement uniques et soulignant l’importance croissante de l’Inde sur la scène économique mondiale.
Ainsi, les élections de 2024 en Inde ne sont pas simplement un exercice démocratique national mais un événement de portée mondiale étant donné l'importance croissante de l'Inde sur la scène internationale. L’Inde continuera de jouer un rôle stratégique dans un monde multipolaire où sa relation avec les grandes puissances et ses voisins définira une grande partie de la dynamique régionale en Asie.
Achevé de rédiger le 30/01/2024 par Marie Casteja et Florence Marciano, gérantes de portefeuilles
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