« Plus jamais ça ! », à l’issue de la seconde guerre mondiale, les nations vont repenser la société internationale en s’inspirant notamment de la théorie développée par Montesquieu, dite du doux commerce selon laquelle les échanges commerciaux entre pays favorisent la bonne entente politique et réduisent le risque qu'ils entrent en guerre, car les deux acteurs s'appauvriraient mutuellement en détruisant la richesse de l'adversaire. Elles vont ainsi se doter sur le plan politique de l’Organisation des Nations Unies (ONU), sur le plan économique et financier de la Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement (BIRD) et du Fonds Monétaire International (FMI) et sur le plan commercial de l’Accord Commercial sur les Tarifs Douaniers et le Commerce (GATT) signé en 1947 à Genève. Par ce mécanisme, les politiques voulaient favoriser les échanges et empêcher que les nations ne se tournent vers le protectionnisme comme ce fut le cas lors de la grande dépression post 1929.
L'objectif principal du GATT puis, à partir de 1995, de l'OMC (Organisation Mondiale du Commerce), est de réduire les barrières commerciales afin de faciliter le commerce entre ses membres et de favoriser une croissance économique accrue. Cela implique la réduction des tarifs douaniers, des quotas et des autres restrictions au commerce. L'OMC entend également renforcer la propriété intellectuelle, surveiller les subventions et les mesures de soutien interne et régler les litiges commerciaux. Si le GATT commence avec 23 membres fondateurs (Afrique du Sud, Australie, Belgique, Birmanie, Brésil, Canada, Ceylan, Chili, Chine, Cuba, États-Unis, France, Inde, Liban, Luxembourg, Norvège, Nouvelle-Zélande, Pakistan, Pays-Bas, Rhodésie du Sud, Royaume-Uni, Syrie et Tchécoslovaquie), très vite les adhésions se multiplient avec en point d’orgue l’adhésion en décembre 2001 de la Chine et plus de 141 pays membres aujourd’hui en sus des fondateurs.
Ainsi depuis 1947, les échanges ont progressé en moyenne deux fois plus vite que la production mondiale. Le volume du commerce mondial est aujourd’hui 45 fois supérieur à celui enregistré au lancement du GATT (soit une augmentation de 4400% entre 1950 et 2022).
Les cycles de négociations instaurés ont engendré une réduction notable, passant de 40% en 1947 à moins de 5% à ce jour, du niveau moyen des droits de douane sur les biens manufacturés dans les nations industrialisées. Pourtant, ces accomplissements indéniables ne sauraient occulter les limites de plus en plus manifestes du système établi, ni étouffer les critiques justifiées en ce qui concerne la protection des économies industrielles, l'accès aux marchés et la portée des règles perçues comme favorables aux entreprises multinationales plutôt qu'aux petites entreprises locales. En effet, comment remédier à une concurrence biaisée dès le départ, avec des disparités de coûts salariaux et de contraintes environnementales. Si, dans une perspective à long terme, ces accords ont permis aux pays de se développer, il n'en demeure pas moins vrai que cela s'est réalisé en détruisant de nombreux emplois dans les pays développés.
Depuis la crise sanitaire de 2020, il est indéniable que les objectifs de relocalisation, d'indépendance industrielle et énergétique de certains ne trouvent pas leur place au sein de l'OMC. La constatation d'une dépendance accrue à certains produits, tels que les produits pharmaceutiques ou les composants électroniques, a engendré une volonté farouche de relocalisation des industries stratégiques. Certes, les pays développés ont pu s'enrichir, mais ils réalisent désormais que cet enrichissement à court terme s’est fait au détriment de leurs travailleurs et de leur indépendance, dans un contexte géopolitique en évolution. La Chine, notamment, qui a largement bénéficié de l'OMC, est aujourd'hui perçue comme politiquement plus agressive. La multiplication des accords régionaux et les difficultés de résolution des désaccords, avec une recherche systématique du consensus, portent un coup aux principes mêmes de cette institution.
Pire, l’IRA (Inflation Reduction Act), loi adoptée en août 2022 par le congrès américain, peut-être perçu comme une remise en cause des fondements du libre-échange. Comme exposé dans les articles précédents, l’IRA est un plan d’investissement de près de 400 milliards de dollars, qui vise tout à la fois à réduire les émissions de carbone américaines de 40% d’ici 2030 et à baisser les dépenses d’assurance. En réalité, au-delà des effets budgétaires et des transmissions sur la croissance, il s’agit avant tout pour les États-Unis de se doter d’une nouvelle arme pour renforcer sa compétitivité en avantageant d’abord les entreprises présentes sur son territoire. Le texte autorise de fortes subventions avec des clauses de préférence nationale. Il est dans la droite ligne du « Make America Great Again » de Trump et repris depuis par Joe Biden.
Au-delà des enjeux de ce dossier, il est surtout révélateur de l’antagonisme de plus en plus prononcé entre souverainistes et mondialistes pour refaçonner l’ordre mondial. En effet, les souverainistes cherchent à défendre la capacité d'un État à prendre des décisions autonomes sur les questions politiques, économiques, sociales et culturelles qui les concernent. Ils mettent l’accent sur la protection de l'identité culturelle, la préservation des institutions nationales et la promotion des intérêts nationaux et s’opposent à toute forme de supranationalisme ou de gouvernance mondiale. Alors que les mondialistes prônent la coopération internationale et la coordination mondiale pour résoudre les défis mondiaux tels que les changements climatiques, la pauvreté, les conflits armés et les inégalités. Ils promeuvent l'idée que les problèmes auxquels le monde est confronté sont transnationaux et nécessitent donc des solutions globales et multilatérales, impliquant la collaboration entre les nations, les organisations internationales et la société civile.
IRA contre OMC : une nouvelle forme du combat entre souverainistes contre mondialistes ? Ces oppositions mettent en exergue le retour au premier plan des volontés des pays d’asseoir et de maintenir leurs avantages quitte à enfreindre les règles du jeu qu’elles ont contribué à mettre en place et qui semblent aujourd’hui obsolètes.
Achevé de rédiger le 20/04/2023 par Nadja de Benedit, responsable de la gestion obligataire.