En 2024, une trentaine de pays voteront pour leur président, tandis qu’une vingtaine d’autres voteront pour leur parlement. Les précédentes élections ont été sources de craintes ou d’espoirs pour les investisseurs.

Quels sont les enjeux de ces élections ?
Peut-on tirer des enseignements boursiers ?

Les histoires de la bourse, du capitalisme et des systèmes politiques sont intrinsèquement liées depuis la fin du XVIIIème siècle : la bourse a été chahutée, voire a connu des krachs, durant les crises de régimes ou lors de crises politiques majeures. Des moments charnières de l’histoire ont ainsi pu ruiner les investisseurs : tel a été le cas par exemple de la dépréciation des assignats quelques années après leur émission en 1791 ; de même, la Révolution de 1848 en France qui instaura la seconde République entrainant un krach sur la rente de 5% du Trésor, qui tomba en quelques jours de 116 francs à 50 francs en mars 1848 ; on peut encore citer l’exemple bien connu de la Révolution bolchévique qui a donné lieu à la crise des emprunts russes en 1917.

A l’inverse, d’autres moments politiques ont initié de longues périodes de hausse boursière : dans les années 30, Roosevelt a relancé l’économie américaine et la bourse avec le New Deal ; de même, l’économie européenne a profité du plan Marshall aux lendemains de la seconde Guerre mondiale.

En réalité et indépendamment des crises historiques telles que celles mentionnées ci-dessus, l’Histoire semble nous enseigner que c’est surtout dans les régimes les plus libéraux, stables et démocratiques que la bourse et le capitalisme ont prospéré.

La bourse, le capitalisme et la démocratie partagent en effet au moins deux piliers essentiels : le respect du droit de propriété et la notion de Liberté –liberté des échanges pour la bourse, liberté d’entreprendre pour le capitalisme ou libertés civiques pour la démocratie.

Toutefois, ces deux piliers ne sont pas toujours suffisants pour créer de la valeur boursière. L’étude de l’évolution des performances boursières montre que ce sont les bourses des grandes démocraties qui ont le mieux performé au cours des 15 dernières années.

Performances annualisées dividendes réinvestis en EUR Du 30/12/2010 au 29/01/2024
Etats-Unis (S&P500) 14,9%
Taïwan (Taiwan Stock Exchange) 10,6%
Inde (Sensex) 8,1%
Europe (Eurostoxx 50) 7,8%
Chine (Shanghai Stock Exchange) 3,7%
Russie (MOEX Russia) 3,8%
Turquie (Borsa Istanbul 100) 1,2%

Source : Bloomberg

Reste alors à savoir ce qui caractérise la démocratie.

Depuis 1789, année d’entrée en vigueur de la Constitution américaine, de plus en plus d’États-Nations ont adopté un système politique démocratique, c’est-à-dire un système dans lequel le peuple est souverain et fonde la légitimité du gouvernement.

En pratique, on peut probablement schématiser le degré de démocratie d’un régime politique en fonction de plusieurs facteurs. Le premier est le degré de représentation du peuple : il a trait notamment au mode de scrutin par la tenue d’élections crédibles, à la tenue d’élections locales, à la présence du suffrage universel, ou encore à la diversité des partis politiques qui se présentent aux élections. Le deuxième a trait au degré de libertés civiques octroyées aux citoyens (liberté d’expression, de religion, d’association, de mouvements ...), au respect par l’État des droits humains et plus généralement aux critères permettant le fonctionnement d’un État de droit (absence de corruption, accès à une justice indépendante, égalité de traitement vis-à-vis de la loi).

Or, en appliquant ces critères, The Economist constatait en 2022 que seuls 8% de la population vivrait dans une véritable démocratie, 37% de la population vivrait dans des démocraties défaillantes et 55% de la population serait sous le joug de régimes autoritaires ou de régimes n’affichant qu’un simple habillage démocratique.

Quelle évolution peut-on attendre pour l’année électorale à venir ?

L’IDEA (International Institute for Democracy and Electoral Assistance, Think tank basé en Suède) constatait en novembre dernier une récession démocratique depuis 6 ans, en se fondant sur des indicateurs tels que les libertés civiles, l’indépendance judiciaire ou la participation politique. Malgré de bons scores, le continent européen voit cependant un recul de la démocratie dans certains pays. De même, une partie des électeurs aux États-Unis ne reconnaissent pas l’élection du Président Biden en 2020 depuis les révoltes au Capitol, l’Inde connait une certaine corruption et des problèmes de respect de la liberté religieuse...

Alors, peut-on tirer des enseignements boursiers de ce recul démocratique ?

La réponse est délicate dès lors que, comme pour la démocratie, il existe plusieurs formes de capitalisme allant du néolibéralisme à la social-démocratie, en passant par le capitalisme chinois. Indépendamment du modèle économique, les élections en démocratie sont souvent le moment d’annonces d’ajustements d’ordre politique économique. Dans les États dans lesquels le principe démocratique est remis en cause, les investisseurs sont en particulier attentifs à la montée du populisme et des partis extrêmes dont les programmes sont susceptibles d’avoir des incidences néfastes sur l’économie et les marchés financiers. A l’inverse, certains résultats électoraux peuvent être assez favorables à la bourse ; pensons aux réformes néo-libérales de la fin des années 1970 / début 1980 de Thatcher ou Reagan, aux réformes des travaillistes en Angleterre sous Blair, ou encore aux réformes du marché du travail allemand par Hartz en 2002, qui ont été particulièrement favorables aux entreprises.

Pour prendre des exemples plus récents, on peut également citer la Chine qui, après avoir progressivement ouvert la voie au capitalisme en 1979, est entrée dans l’OMC au début de l’année 2000, mais semble avoir fait un virage politique significatif depuis 2012 avec Xi Jinping. Plusieurs sociétés cotées en bourse comme Tencent ou Alibaba font les frais de l’interventionnisme de plus en plus dirigiste de son gouvernement.

En Europe, le vote du Brexit a été un événement qui a surpris les investisseurs : la livre sterling et la bourse européenne ont baissé brutalement de -11% dans les 2 jours suivant le 23/06/2016. Les dommages de la fin des accords de libre-échange avec l’Union Européenne ont été importants pour les entreprises européennes. Enfin aux États-Unis, l’élection de Trump, fin 2016, a plutôt été bien accueillie par les investisseurs, grâce notamment à son programme de baisse d’impôts.

Les élections sont donc sources de craintes comme d’espoirs pour les investisseurs ; ce constat risque de se matérialiser encore davantage en 2024, année électorale historique : près de 2 milliards d’électeurs sont appelés à voter dans 76 pays dont la population totale est de 4 milliards de personnes ! Plusieurs votes nationaux auront lieu cette année : depuis l’Inde, la démocratie la plus peuplée du monde, jusqu’aux États-Unis, la plus vieille démocratie, en passant par l’Islande, l’une des plus petites démocraties. Cependant et comme nous l’avons vu dans les exemples précédents, ce qui importe principalement pour les investisseurs, c’est d’évaluer d’une part, la probabilité d’une éventuelle crise politique voire de régime et d’autre part, l’incidence des programmes électoraux et leur application sur le capitalisme1 et les marchés financiers.

Achevé de rédiger le 30/01/2024 par Guillaume Ozon, analyste-gérant

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1 Un système économique reposant sur la propriété privée, la recherche du profit, la concurrence, des mécanismes de marché pour définir les prix, le libre-échange et le rôle limité des pouvoirs publics.