Une tendance de fond
Du côté de la French Tech, la 16ème licorne française Sorare — qui a été valorisée 4,3 milliards de dollars en 2021, propose de collectionner et d’échanger des cartes de joueurs de football en NFT.
Du côté du CAC 40, Carrefour va faire des expérimentations en vendant des NFTs sur le jeu vidéo The SandBox.
Nous sentons qu’il y a une tendance de fond autour des NFTs et un engouement partagé par certains acteurs économiques. Pour appréhender la portée du concept, il s’agit de commencer par le comprendre.
Le NFT, un objet virtuel unique qui élargit le marché de l’art au monde numérique
Un NFT (Non-Fungible Token) est un objet numérique quelconque comme une photo de famille, un fichier PDF, un message sur Twitter ou même un objet virtuel dans un jeu vidéo.
Contrairement à une simple image qui est facilement duplicable (pensons à un simple copier-coller d’une image sur le web), une image dite « NFT » dispose d’une signature cryptée qui la rend unique et identifiable grâce à ce qu’on appelle un protocole Blockchain2.
Une vidéo NFT de 10 secondes vendue chez Christie’s pour 6,6 millions d’euros (2021), la troisième plus grosse transaction de l’année.
Cette signature numérique unique est exactement comme un certificat d’authenticité d’une œuvre d’art : elle offre une preuve que l’objet nous appartient et qu’il est unique. Le « crypto-art3 » est né.
Les acteurs traditionnels de l’art ne s’y trompent pas. La société de vente aux enchères Christie’s totalise près de 150 millions de dollars de vente de NFTs en 2021. Elle a très vite perçu le potentiel d’une telle technologie car elle offre, au numérique, deux composantes qui lui manquaient jusque-là : l’authenticité (au sens strict) et la rareté.
Croissance exponentielle des volumes d’échange de NFTs en 2021
Jusqu’à aujourd’hui, curieusement, les NFTs sont restés peu connus du grand public alors que les premiers fichiers du genre existaient déjà en 2014.
Le concept s’est popularisé fin 2020 grâce à des jeux vidéo comme Axie Infinity et grâce à des plateformes d’échange qui proposent de « transformer » n’importe quel fichier numérique en NFT : en mars 2021, le volume d’échange de NFT atteint la barre des 250 millions de dollars4 uniquement sur les 6 plus grandes plateformes grand public5. En août 2021, c’est déjà plus de 3 milliards de dollars de transactions, et 13 milliards de dollars au total sur 2021 (uniquement sur ces mêmes 6 plateformes, rappelons-le !).
En parallèle, la vente record par Christie’s du NFT Everydays pour 69 millions d’euros achève de confirmer l’intérêt des acteurs traditionnels de l’art pour cet actif.
Des applications concrètes sur les objets du réel
Lors de la visioconférence consacrée à la présentation des résultats 2021 de LVMH, Bernard Arnault annonçait qu’il était encore trop tôt pour que son groupe commercialise des NFTs.
Cela n’a pas empêché LVMH de travailler sur les NFTs depuis 2019 : le groupe travaille ainsi sur une plateforme d’authentification de ses produits de luxe, Aura, fondée sur une blockchain.
L’idée annoncée est d’émettre des contrats NFT qui seront liés à un numéro imprimé sur un produit de luxe, comme un sac à main Louis Vuitton.
Paire de sneakers réalisée dans le cadre d’une collaboration entre Atari et RTFKT (filiale de Nike). Le NFT a été vendu pour 10 ETH, soit plus de 18 000$.
Il sera ainsi possible pour n’importe quel acheteur du marché primaire ou secondaire de connaître l’identité de l’actuel propriétaire du sac, et il sera même possible de regarder toutes les transactions effectuées depuis la mise en vente du sac par Louis Vuitton.
Par exemple, si j’achète un sac à main dans une boutique Louis Vuitton, la marque enregistrera mon identité ainsi qu’un numéro d’identification lié au sac dans un contrat NFT qui assurera que ce sac m’appartient. Si je souhaite le revendre, je n’ai qu’à me rendre sur Aura et transférer le NFT à l’acheteur en même temps que je lui remets le sac. Cette transaction sera enregistrée dans la Blockchain dédiée et certifiera l’authenticité du produit pour ses prochains détenteurs. Il sera donc très simple de reconnaître une contrefaçon ou un produit volé, d’autant plus que la nature même de la blockchain la rend infalsifiable.
Même si LVMH n’a pas encore parlé de date de déploiement, la société a annoncé en avril 2021 qu’Aura regrouperait l’ensemble des marques de son portefeuille.
Un impact beaucoup plus large que celui sur le marché de l’art et du luxe
Mais si l’art a exploité le concept de NFT en premier, les acteurs du jeu vidéo y voient déjà des applications concrètes pour leur secteur et, bien sûr, pour les futurs métavers.
L’idée serait de transformer les objets contenus dans les jeux vidéo en objets rares et liés à leur propriétaire : par leur unicité, les NFTs sont de nouveaux vecteurs pour l’identité sociale des individus car ils leur offrent un moyen de se différencier encore plus facilement que dans la vie réelle.
Ce phénomène — encore émergent sur les jeux vidéo — est déjà visible sur les réseaux sociaux, à l’image de Twitter qui a annoncé fin janvier 2022 qu’il serait désormais possible pour les détenteurs de NFT de les utiliser comme photo de profil. La société Snapchat, elle, permettait de tester une paire de sneakers virtuelle NFT mise aux enchères, simplement en se filmant les jambes à l’aide de l’application.
Côté jeu vidéo, il existe de nombreux systèmes de NFT, à l’instar d’Axie Infinity : on combat d’autres joueurs à l’aide de petites créatures (à l’instar de Pokémon) qui ont toutes des caractéristiques physiques et techniques qui leurs sont propres. Ces créatures sont en fait des NFTs qu’il est possible d’acheter et de revendre avec bénéfice ou perte directement dans le jeu ou sur les plateformes d’échange de NFTs.
NFT du jeu Axie Infinity en vente sur OpenSea.
Un concept clivant et sujet à des mouvements spéculatifs difficiles à mesurer
Ne nous y trompons pas, l’ajout de NFTs dans les jeux existants reste avant tout une nouvelle source de revenu pour les éditeurs. Et les joueurs ne sont pas dupes : en plus de devoir acheter un jeu (et bien souvent payer à nouveau pour du contenu additionnel), il faudra probablement acheter des NFTs pour parvenir à ses fins ou être meilleur que les autres. En décembre 2021, une vidéo dans laquelle Ubisoft annonçait la création de fusils NFT pour son jeu Ghost Recon Breakpoint a fait l’objet de 95% d’interactions négatives de la part du public.
Plus généralement, les joueurs craignent le caractère spéculatif des NFTs, qui pourrait à l’avenir rendre inaccessible certaines parties du jeu à certains joueurs, faute de moyen. Sur le jeu vidéo The Sandbox, un yacht numérique NFT a été vendu pour... 650 000 dollars. Pour l’instant, il nous semble très difficile d’évaluer la réelle stabilité qu’auraient ces types de NFTs rattachés à des jeux vidéo dits « métavers » notamment parce que ces même jeux vidéo sont en phase de conception et d’évolution.
Yacht acheté 650 000 dollars aux enchères sur The Sandbox.
Difficile d’y voir clair pour l’instant
Les NFTs ont déjà des applications concrètes dans l’industrie du luxe et le marché de l’art. Ils feront aussi très certainement partie intégrante des métavers dans les prochaines années pour deux raisons : grâce à cette nouvelle notion d’acte de propriété infalsifiable des objets numériques, et grâce au besoin de différentiation des individus vis-à-vis d’autrui.
Reste à voir comment les cadors du jeu vidéo et du métavers (Microsoft, Sony, Nintendo, Google, Amazon, Meta, pour ne citer qu’eux) aborderont le sujet — et en contrôleront les dérives.
Achevé de rédiger le 07/02/2022 par Quentin Lelong, analyste au sein de Dubly Transatlantique Gestion.