Vous êtes ingénieur, entrepreneur et artiste. Comment est né votre engagement philanthropique ?
J’ai la conviction que les entreprises et leurs dirigeants ont un rôle sociétal à jouer : dans la formation, l’écologie, l’ouverture culturelle, le lien dans les territoires... Et je l’ai toujours pris en compte dans mes entreprises. S’engager en tant que chef d’entreprise ou en tant qu’individu est très différent, autant du point de vue financier, qu’en matière d’investissement personnel.
Ma femme et moi souhaitons transmettre à nos quatre enfants plus qu’un patrimoine financier : une liberté d’agir et de faire les choix qui leur semblent justes et possibles. Pourtant, notre dernière a des besoins spécifiques : elle est porteuse d’une trisomie 21.
Il y a deux ans, j’ai cédé l’entreprise fondée dix ans plus tôt. Cela a sécurisé son avenir financier, mais elle reste confrontée à toutes les difficultés d’inclusion liées à sa situation de handicap.
En famille, nous avons souhaité mettre nos compétences et notre argent au service de la transmission de la culture aux personnes en situation de handicap. Le faire de façon philanthropique nous semblait naturel pour poser le premier pavé sur ce très long chemin.
Avec votre épouse, vous avez lancé en 2021 KILÉMA Éditions qui propose de rendre la littérature accessible à tous. Pouvez-vous nous parler de ce projet ?
Lorsque notre fille a grandi, nous avons réalisé qu’en France, il n’y avait qu’une quinzaine d’ouvrages littéraires accessibles en Facile à Lire et à Comprendre (un ensemble de règles d’écriture et d’édition, défini au niveau européen). Notre fille n’avait accès ni aux ouvrages de la littérature classique, ni aux livres de son âge. Près de 13 millions de personnes en France seraient ainsi empêchées de lire.
Ma femme étant traductrice, nous avons décidé de nous lancer avec nos propres moyens. Nous avons donc créé KILÉMA Éditions fin 2021. KILÉMA signifie « Handicap » en malgache. Sans remplacer la littérature, ni simplifier les textes, les livres de KILÉMA peuvent être une première marche vers l’accès à la culture. L’équipe de KILÉMA Éditions, qui inclut deux personnes en situation de handicap intellectuel pour la relecture et la validation de la compréhension des textes, a traduit et édité 16 livres à ce jour.
C’est en un an deux fois plus que ce qui avait été fait en 15 ans. Le travail est colossal, il y a encore des milliers de titres à traduire. C’est pourquoi nous avons voulu l’inclure dans une démarche philanthropique et créer la maison d’édition par un fonds de dotation, le fonds de dotation KILÉMA.
Quelles sont les missions et le mode d’action du fonds de dotation KILÉMA ?
Le fonds de dotation KILÉMA a été créé comme outil et preuve du caractère philanthropique de nos actions.
Il collecte des dons auprès de différents acteurs privés et soutient des projets associatifs qui visent à rendre la culture plus accessible aux personnes en situation de handicap.
Un premier tiers-lieu va prochainement voir le jour à Paris. Comment répondra-t-il à cet enjeu majeur de l’inclusion ?
C’est encore un constat d’absence de lieu culturel adapté et inclusif pour notre fille qui nous a donné l’idée d’ouvrir un lieu KILÉMA.
Il abritera et diffusera la création culturelle adaptée avec la maison d’édition et la librairie KILÉMA. Ce lieu de 330m2 en plein cœur de Paris sur le quai de Valmy accueillera également la recherche et l’innovation sur tous les moyens de diffuser une culture adaptée avec des espaces conviviaux et inclusifs de formations, de ressources et d’échanges. Ce lieu regroupera le maximum d’initiatives de partenaires qui le souhaitent. Je suis effectivement convaincu que nous ne pouvons rien faire seuls, de manière générale en philanthropie et particulièrement pour notre sujet.
Quelle est votre ambition philanthropique pour les années à venir ?
Fort de cette conviction que la philanthropie doit s’inscrire dans un paysage sociétal global où chacun prend sa part, je considère avoir simplement débuté notre vaste projet. Nous avons besoin du soutien d’autres philanthropes, de la puissance publique, des associations, des entreprises et des bénévoles.
Sans cela, les initiatives permises seront perdues et sans lendemain. Or, il reste des tiers-lieux à ouvrir partout en France, des milliers de livres à traduire et à diffuser.
Il ne faut pas oublier que nos initiatives et nos moyens doivent servir directement les personnes qui en ont besoin. Nous philanthropes ne pouvons être que des amorceurs au service d’une cause d’utilité publique. Ma seule ambition est donc de réussir à mettre la culture à la portée de tous les exclus.
Repères biographiques
Philippe Le Squéren est ingénieur, entrepreneur et père de quatre enfants.
Après avoir grandi entre Madagascar, la Bretagne, la banlieue parisienne et la Guadeloupe, il poursuit des études d’ingénieur aux Arts et Métiers. Il étudie également les Arts plastiques aux ateliers des Beaux-Arts de Paris avant de devenir ingénieur d’études d’infrastructure et plus particulièrement ferroviaire.
Deux ans après la naissance de sa fille cadette, Lucie, porteuse d’une trisomie 21, il crée sa première entreprise dans la location et la création d’œuvres d’art : Galerie 73. Il développe peu de temps après une deuxième société en ingénierie ferroviaire qu’il revend en 2021, un an avant le lancement du projet KILÉMA.
Depuis 2022, KILÉMA est devenu un fonds de dotation, une maison d’édition puis une association et le premier tiers-lieu KILÉMA sera ouvert en 2024 en plein cœur de Paris.
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