Pourriez-vous nous présenter les origines et les motivations de votre engagement philanthropique ? Quelles causes soutenez-vous aujourd’hui ?
Je me suis engagée au service des autres tout au long de ma vie et pour des causes diverses. À l’âge de 15 ans, mon attention était focalisée sur le soin de personnes âgées ; à celui de 25 ans, elle s’est portée sur la situation des artistes en déshérence. J’ai confiance en la nature humaine et désire donner à chacun les moyens de tracer son propre chemin. J’ai la chance de partager cette ambition avec mes quatre enfants et Geoffroy, mon mari. Ainsi, lorsque ce dernier a vendu sa première entreprise, The Phone House, nous avons tout naturellement choisi de consacrer une part importante des fonds générés à la création de la Fondation Araok (« en avant ! » en Breton). Près de quinze ans plus tard, près d’un million trois cent mille euros ont été versés à une quarantaine d’associations en suivant le fil rouge suivant : permettre à des personnes fragilisées de prendre un nouveau départ dans leur vie.
Enfin, j’ai cofondé en 2015 la Fondation de la Mer, pour soutenir une cause qui me tient particulièrement à cœur, à plus forte raison parce qu’elle est mère de toutes les batailles : quel serait le sens des efforts d’éducation et d’insertion si l’état des océans ne permettait plus la vie sur Terre ?
La philanthropie est-elle une affaire de famille ? Quelles sont les techniques pour sensibiliser les jeunes générations à la philanthropie ?
Animée par la conviction que la famille peut être le creuset d’une philanthropie « à la française », j’ai créé en 2012, avec une douzaine d’autres fondations l’association « Un Esprit de Famille » (UEDF). Celle-ci rassemble 90 membres animant un fonds de dotation ou une fondation, d’initiative familiale ou privée, soit un total de plus de 200 personnes. Aujourd’hui, davantage de philanthropes privés souhaitent créer une structure philanthropique en famille. Ce sont le plus souvent des parents désireux d’associer leurs enfants dès l’initiation de leur démarche philanthropique. Ces créations fédèrent particulièrement les familles et permettent « d’embarquer » les jeunes générations. Sensibiliser la jeunesse au don et à la philanthropie fait d’ailleurs partie des missions d’UEDF. En tant qu’aînés, nous nous devons de montrer l’exemple, de faire connaître notre engagement et communiquer sur le bonheur qu’il procure et d’être ainsi inspirants. Je crois beaucoup en la force des témoignages. Mon rêve ? Que les histoires de philanthropes, donnant de leur argent et de leur temps, plus inspirantes que les faits divers, contribuent à changer notre société.
Selon vous, l’engagement philanthropique constitue-t-il une suite logique au parcours entrepreneurial ? Quelles relations identifiez-vous entre ces deux démarches ?
L’engagement philanthropique et l’activité entrepreneuriale me semblent indéniablement liés. Ainsi, de plus en plus de jeunes entrepreneurs à la réussite fulgurante créent des structures philanthropiques soit durant leur carrière, soit après la cession de leur entreprise.
Par ailleurs, la philanthropie familiale ou privée se professionnalise de plus en plus grâce à ces entrepreneurs. Parfois surnommés « philentrepreneurs », ils mènent en effet leurs actions philanthropiques avec des méthodes proches de celles en vigueur dans le monde des affaires.
Dans un monde idéal, oui, la philanthropie serait un complément naturel d’un parcours entrepreneurial. Ça n’est pas toujours le cas mais gageons que cela le sera de plus en plus dans les années à venir et peut-être même une évidence pour les jeunes générations. Il faudra toutefois veiller à ne pas appliquer la rudesse du monde du business, stimulée par la concurrence et les échéances courtes, à la résolution des grands enjeux de l’humanité. Ceux-ci supposent en effet des efforts collectifs, du temps long et des investissements sans réel espoir de retour financier. Je dirais donc : oui au professionnalisme, à la rigueur, au suivi financier et opérationnel et à l’envie d’expérimenter, mais avec un supplément d’âme et d’éternité lorsqu’il s’agit de prendre modestement sa part des maux de notre société.
Nous constatons que les philanthropes mènent souvent leurs projets de manière isolée. Comment créer des passerelles entre leurs initiatives ?
Créer des passerelles entre philanthropes est la raison d’être d’Un Esprit De Famille ! Vous avez raison, les philanthropes sont souvent seuls et c’est pourquoi nous nous efforçons au sein de notre association d’échanger sur nos expériences, ainsi que sur les projets et les associations soutenus. Certains de nos membres ont ainsi formé un groupe de travail sur le thème de l’éducation et ont décidé, après un rigoureux processus de sélection, d’accompagner ensemble l’association « Chemin d’Avenir ». Au-delà de cet exemple particulier, nous tenons à développer des actions communes dans les années à venir. Nous accompagnons déjà nos nouveaux membres dans la structuration de leur démarche philanthropique dans une forme de compagnonnage très appréciée et nous partageons une base de données avec plus de 250 associations soutenues par les membres de l’UEDF. Pour aller plus loin, nous avons pour ambition d’optimiser nos propres pratiques en échangeant sur la gouvernance, la stratégie et l’organisation de nos propres structures philanthropiques : chaque philanthrope pourra alors s’inspirer de multiples témoignages.
Repères biographiques
Après avoir obtenu un diplôme de l’ESSEC, Sabine Roux de Bézieux a mené une brillante carrière dans le conseil, au cours de laquelle elle a notamment travaillé quatorze ans chez Arthur Andersen. Elle est aujourd’hui membre du conseil de surveillance de plusieurs entreprises, dont la Banque Transatlantique, et met son expérience et ses compétences au profit de nombreux engagements au service de l’intérêt général, qu’il s’agisse des associations et des fondations au conseil desquelles elle siège ou de celles qu’elle a cofondées comme la Fondation de la Mer et Un Esprit de Famille.