L’âge d’or de la rente
Comment éviter les mirages de ceux qui promettent aujourd’hui du rendement sans risque, alors que cela n’existe plus...
Pendant longtemps, la gestion obligataire a consisté à acheter de la dette perpétuelle, émise par l’État français. Ainsi, tout au long du 19ème siècle, et ce, jusqu’à la Première Guerre mondiale, c’est l’âge d’or de la rente. C’est le placement le plus recherché par la bourgeoisie triomphante. Quiconque a un capital, le place en rente, et l’on ne mesure plus sa fortune qu’en regardant les sommes que l’on détient en rente à 3%, autrement dit, non pas le capital placé, mais les intérêts versés par l’État. Balzac introduit souvent ses personnages en indiquant qu’ils ont cent ou deux cent mille francs de rente, c’est-à-dire qu’ils reçoivent cette somme en intérêts de l’État, chaque année.
Jusqu’en 1914, la rente représente plus de la moitié de la capitalisation boursière de la Bourse de Paris. L’inflation et les déficits budgétaires qui suivent la Première Guerre mondiale poussent les taux à la hausse et sonnent ainsi son glas. Le taux 10 ans français passe ainsi de 3% à un plus haut de 17%, en 1981.
Avec l’explosion des marchés financiers dans les années 1980, et la désintermédiation, sont apparues les obligations émises par des entreprises pour se financer directement auprès de l’épargnant, et non plus seulement, en ayant recours à des prêts bancaires.
37 ans de baisse des rendements
Les gérants obligataires, en sus d’examiner la solidité financière des États, ont dû procéder à des analyses fines des nouveaux émetteurs afin de s’assurer de leur capacité de payer chaque année les coupons et de rembourser à maturité leurs dettes.
Mais 37 ans de baisse continue des rendements (avec un taux 10 ans français en dessous de 1% depuis 2014 !) a mis à mal la stratégie obligataire consistant à acheter des obligations et à les garder jusqu’à leur échéance. Et l’on peut s’interroger légitimement sur la stratégie qu’emploierait aujourd’hui le Baron de Nucingen, gendre du Père Goriot, pour assurer son train de vie.
Aujourd’hui, le marché obligataire repousse les limites en affichant des taux d’intérêt négatifs, les investisseurs se ruant en masse sur les dettes d’État, dans une économie mondiale toujours très fragile et soutenue par les banques centrales.
En accordant une aide quasi inconditionnelle aux économies en panne de croissance et menacées par la déflation, les institutions monétaires ont rendu la liquidité abondante et bon marché, à la fois via leurs programmes de rachats d’actifs et la baisse de leurs taux directeurs.
Des performances positives
Pour un investisseur, ces taux négatifs sont contre-intuitifs. S’il achète des obligations allemandes ou françaises, il paie une certaine forme de sécurité, « l’effet coffre-fort », mais quand certaines entreprises commencent à émettre à taux négatif, on peut se poser des questions : l’investisseur prend du risque et il paie pour cela.
Et l’on peut se demander à juste titre : quel intérêt, pour un investisseur particulier, de continuer à allouer des flux sur l’obligataire, dans cet environnement de taux très bas et qui risque de perdurer ?
Heureusement pour les gérants obligataires, les classes d’actifs obligataires se sont multipliées et se sont ouvertes au monde entier. Ainsi, le terrain de jeu et les stratégies pouvant être déployées sont vastes. Ces dernières permettent aujourd’hui de distinguer le rendement d’une obligation de sa performance. Ainsi grâce à des stratégies flexibles et réactives, des gérants obligataires peuvent aujourd’hui délivrer des performances positives, même après imputation de l’inflation.
Notre façon de gérer les portefeuilles doit donc s’adapter aux conditions complexes qui règnent actuellement.
Des solutions existent et il n’y a donc pas de fatalité pour la gestion obligataire dans un monde de taux négatifs.
Pourtant, le constat demeure implacable : les décennies heureuses de la baisse continue des taux, qui ont fait quelques grandes fortunes, sont maintenant révolues ! Nous avions du rendement sans risque, à nous de réaliser, aujourd’hui, de la performance avec un risque modéré.